Les Arbres Fertilitaires: La voie pour une Gestion Durable et Régénérative des Bases Productives Agricoles au Sénégal
Par Mansour Ndiaye: Directeur exécutif d’Afrique Verte et Fertilité-Sénégal (AVF-Sn), Mbour le 30/09/2021
La dégradation des Bases Productives Agricoles: une contrainte majeure
L’utilisation continue, à fortes doses d’engrais chimiques en agriculture a accéléré le processus de minéralisation de la matière organique dans plusieurs pays. En Europe la teneur moyenne en matière organique des sols a fortement baissé, passant de 4% à 1,3% en l’espace d’un siècle bien que des quantités importantes de biomasse (pailles de blé) aient été produites durant la même période (5,5 t/ha contre 2 t/ha auparavant). Au Sénégal, partout où l’agriculture s’est prioritairement servie de la fertilisation minérale pour booster les rendements agronomiques des principales cultures telles que l’arachide, le coton, le riz irrigué et les légumes, les terres se sont progressivement et sévèrement appauvries. Depuis plusieurs décennies, les autorités du pays se sont engagées à protéger les massifs forestiers à travers une exploitation raisonnée de la ressource, cependant, force est de constater une régression exponentielle de la ressource (40 000 hectares/an). A la faveur des déboisements, les vents d’harmattan chauds et secs balaient et emportent dès la fin de la saison des pluies tous sur leurs passages, laissant sur place des terres dénudées s’étendant sur des millions d’hectares. Dans le même temps, les agriculteurs continuent à utiliser des techniques qui jurent d’avec une volonté de préserver la qualité de leurs sols : cultures d’abatis-brulis, fertilisations chimiques, passages de tracteurs agricoles sur des terres déjà fragilisées. A l’arrivée le résultat est sans appel : 2 500 000 ha de terres agricoles (66%) dégradées sur un capital de 3 800 000 ha. Afin de contourner la baisse de fertilité de leurs terres, les exploitations familiales agricoles vivant dans les villages riverains des forets transfèrent progressivement leurs activités agricoles dans les réserves forestières entrainant du coup de sérieuses menaces sur les derniers gisements forestiers du pays.
Corrélativement à la déforestation, les pluviosités annuelles sont également en net recul (-40% depuis 20 ans) dans toutes les zones agro-écologiques du pays. Dans le sous-secteur de l’élevage, la pression exercée par les agriculteurs à la recherche de nouvelles terres de cultures, réduisent progressivement les aires de pâturages et finissent très souvent par créer des conflits entre éleveurs d’animaux et agriculteurs. Les élévations de températures, conséquences du réchauffement climatique plombent les activités ne supportant pas les hautes températures : horticulture, floriculture, aviculture, arboriculture fruitière… Le sous-secteur de l’agriculture : des résultats instables et mitigés. Les exploitations familiales agricoles concentrent la majorité de la main d’œuvre agricole (70% de la population). C’est sur leurs épaules que doit reposer la totalité de la production des principales cultures du pays: arachide, céréales, légumes. A ce jour, les résultats engrangés dans ces filières restent encore mitigés: faiblesse des rendements agronomiques, pertes post-récoltes, baisse de la qualité des récoltes. Selon plusieurs enquêtes et sondages de terrain, rares sont aujourd’hui les exploitations familiales agricoles qui parviennent à assurer leurs autosuffisances en céréales et dégager des excédents de production destinés au marché local ; sinon comment justifier ces milliers de tonnes de riz ‘blancs’ importés annuellement ? Ces maigres résultats agricoles justifient l’érosion observées des ressources financières en zone rurale, l’insécurité alimentaire, la cristallisation de la pauvreté rurale, l’exode massif des jeunes garçons et filles vers les centres urbains du pays déjà surpeuplés, la tendance à l’émigration légale ou clandestine des jeunes avec son lot de misères suite aux nombreuses pertes en vies humaines dans les océans ou sévices subies au cours de ces périlleux voyages.
Au Sénégal une chose est certaine, au stade actuel de la baisse prononcée de fertilité des sols et de déficits pluviométriques récurrents, il n’est point permis de s’attendre à des performances agricoles correctes sauf si, l’état accepte de réorienter son accompagnement technique aux exploitations familiales agricoles vers des pratiques écologiques.
L’agroforesterie par les arbres fertilitaires : la meilleure voie pour ‘régénérer’ les terres dégradées, protéger les parcelles cultivées, soulager le reboisement
Rappel de définition d’un arbre fertilitaire (Dupriez – de Leener, 1993) : Un arbre fertilitaire est un arbre dont l’activité enrichit la couche arable d’une terre, en améliore la texture et en favorise la structuration. Pour exercer efficacement sa fonction dans les champs, il doit être convivial, c’est-à-dire qu’il ne peut entrer en concurrence forte avec les espèces cultivées pour leurs productions domestiques ou marchandes ».
Les arbres fertilitaires sont principalement issus de la famille des légumineuses et plus précisément de la sous-famille des Mimosacées. L’alternative valable aux fertilisants chimiques est sans nul doute l’arbre ‘fertilitaire’ Son intégration aux cultures agricoles, fourragères et autres végétaux cultivés, permet lui d’assurer multiples fonctions : (1) restauration durable de la fertilité des terres agricoles (sans engrais chimique) ,(2) auto-approvisionnement des ménages agroforestiers en bois domestique, fourrage et autres produits ligneux, (3) réduction de la pression anthropique sur les boisements naturels, (4) régénération naturelle des écosystèmes locaux, (5) diversification et augmentation des revenus agricoles des ménages bénéficiaires, (6) réduction de l’exode rural des jeunes issus des ménages agroforestiers, (7) recharge progressive des nappes souterraines situées dans la zone d’emprise des parcelles agroforestières, (8) réduction de la pression parasitaire sur les cultures associées aux arbres fertilitaires, (9) mise en défens des parcelles agroforestières pour leurs protections contre les animaux domestiques divagants ou sauvages (sangliers, singes etc…).